Ce blog vous proposera critiques et retours sur spectacles, expositions et autres manifestations de cette joyeuse cité.

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mercredi 20 mai 2015

Théâtre sans animaux [critique]


          
« Le rire est le propre de l’homme » écrivit un jour un petit auteur mal connu du nom de François Rabelais. Il serait donc produit, transmis et consommé par les humains. Les Ham'acteurs suivent ce sage enseignement, puisque malgré les fous rires —parfois dévastateurs— qui secouent leur public, ils n'ont recours à aucune bête à poil, écaille ou plume durant toute leur prestation. Théâtre sans animaux, récital de saynètes de Jean-Michel Ribes, propose un assortiment de tranches de vies diverses, souvent conflictuelles et toujours drôles. Glissant d'une scène de ménage à une série d'interrogations absurdes et incompréhensibles, le spectacle fait rire, mais pas seulement. Il s'arrête sur ce que doit faire l'homme, sur le sens de son existence, de l'existence de son espèce tout entière à travers l'évolution, de sa place dans la société, dans la famille. Toutes ces interrogations lourdes, pesantes, terrifiantes même sont amenées sur un ton badin. Pourquoi  s'en soucier au-delà de ce que nous pouvons réaliser par nous-même ? Portées par des comédiennes et comédiens polymorphes et habiles, les histoires défilent, avec toujours cette bascule qui approche —perceptible bien qu’invisible— et qui finalement intervient au moment le moins probable, déroutante et hilarante.

           Il faut également saluer le travail de la régie son et lumière, qui effectue des transitions fluides et des effets de style appréciables. La scénographie est très soignée. Un décor épuré où de nombreux accessoires voltigent en tout sens, d'un simple journal à un crayon de papier de trois mètres de haut. Ainsi, l'espace reste interchangeable sans perdre de son caractère propre à chaque scène. Dernier point de la logistique : les bancs sont durs et la pièce longue. Alors, comme les Ham'acteurs l'ont conseillé sur les réseaux sociaux, ne pas hésiter à emporter un coussin pour s'installer plus confortablement.

           En définitive, ce furent deux heures bien trop vite écoulées. Une telle implication dans le jeu et la mise en scène irradie de créativité, stimulant à la fois l'imagination et l'esprit. Je ne peux que vous recommander ce spectacle.


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Théâtre sans animaux est la sixième pièce de la compagnie des Ham'acteurs (fondée en 2010).
Cette pièce a été produite et soutenue par l'AmLet (l'Amicale des Lettres de l'Université de Strasbourg).

Dernière représentation ce soir, Mercredi 20 mai 2015, à 20h
Salle Évolution, rez-de-chaussée du Portique, Université de Strasbourg.

Interprétée par :
Jonathan Daudey, Jordane Hess, Marlène Rodé, Caroline Belin et Amandine Bourgis.

À la régie et à la construction du crayon géant :
Grégoire von Muckensturm.

Travail son et lumières :
Christian Peuckert

Conception de l'affiche :
Julie (?)

Textes de Jean-Michel Ribes.

samedi 9 mai 2015

Ils étaient tous mes fils [critique]




          Sous l'enrobage plastique, pavillon de banlieue américaine de 1947, une famille apparemment heureuse suit le cours de l'histoire. Sous le même emballage, conservée en l'état par le conditionnement réfrigéré de l'opinion publique, une famille éclopée subit toujours les retombées de la guerre. Deux familles qu'Arthur Miller peint à petites touches tranchantes, qui se croisent, se complètent, s'entrelacent et se déchirent. Joe Keller, impliqué par le passé dans une grave vente de matériel défectueux à l'armée, est libre. C'est son ancien associé, Jack, qui a endossé les charges. Cet homme, en prison, a deux enfants : Anne et Georges. Joe aussi en avait deux , il n'en a plus qu'un. Chris, son fils —encore poursuivi par les spectres des batailles— est amoureux d'Anne, fille de Jack et ancienne fiancée de son frère disparu à la guerre, Tom. Le mariage se profile, mais la mère de Chris, Kate, s'y oppose, refusant de signer par là même l'acte de décès de son fils qu'elle ne considère qu'encore disparu. Un jour, le jour de la pièce, le frère d'Anne pousse la porte du jardin des Keller. Autour d'eux, le ballet des voisins, tantôt bienveillants, tantôt mesquins, toujours impuissants à ébranler une machinerie cassée depuis plus de quatre ans.

          C'est un passé de pelotes de laine emmêlées et de lettres jamais lues qui fermente sous le film plastique. L'étiquette proprette cache une viande qui a pourri et il faut bien que quelqu'un l'avale. Il est remarquable d'observer les changements qui s'opèrent sur notre propre organisme au fur et à mesure que la pièce avance. La détente des muscles d'abord, due à de légers rires, une ambiance conviviale et paisible. Puis, quelques raideurs au cou, un inexplicable sentiment de malaise qui sourd d'une remarque, d'un regard. L'ombre de la guerre et de ses enfants tourne autour de la maison et ricoche sur les haies de thuyas.

          Les acteurs portent chacun le fardeau de leur personnage, aussi bien psychiquement que physiquement. Le tout dans une scénographie qui les conditionne parfaitement, univers synthétique et symétrique, jardin à la corde et décor factice. Le pendant des mensonges bien calibrés dont se parent les figures qui l'habitent. Dynamique et appuyée par quelques passages musicaux, la pièce se voit sans ennui. Les 105 minutes passées dans l'obscurité filent à toute vitesse, aspirées par trois actes s'étirant d'un matin à une nuit. Quelques menus traits seront soulignés par le spectateur pointilleux, plus comme des callosités à poncer que comme vices de forme. Des images un peu bancales (l'arbre qu'il faut deviner à partir de ses rameaux posés à jardin par exemple), certains moments d'émotions où le jeu vacille, et qui perdent de leur naturel et de leur conviction. Mais pour une pièce aussi subtile, à la composition psychologique et à la mécanique interne aussi fine, il est compréhensible d'observer ces légers accrocs. Leur nombre réduit fait par ailleurs preuve d'une bonne maîtrise de la part de ses acteurs. La mise en scène, quant à elle, sait se montrer discrète tout en manœuvrant les pantins sur des châssis bien huilés. Ainsi poursuit-elle, jusque dans la composition des saluts finaux, apportant par un léger détail —et alors que la pièce est bien finie— une vision d'avenir.

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Théâtre du Cube Noir (CREPS d'Alsace)
4 allée du Sommerhof, 67200 Strasbourg

PROCHAINES REPRÉSENTATIONS :
Jeudi 9 mai 2015 à 20h 30
Dimanche 10 mai 2015 à 17h

RÉSERVATIONS :
06 85 63 42 07 / resa@artusasso.fr
Précisez : vos noms et prénoms, un numéro de téléphone, le nombre de places et la date

Distribution : José Baert, Julie Biscarat, Christian Furlani, Salomé Haquin, Noah Kaision, Marie-Blanche Monteleone, Alexis Mosimann, Marina Ramahefarivo, Kévin Rousseau et Joseph Visseaux

Mise en scène
: Danielle Decelle
Scénographie : Léa Genovese, Maïmiti Haoa
Création lumière : Thomas Fisseau
Maquillage : Laure Giroult et les élèves de l'Ecole Candice Mack
Régie lumière : Les stagiaires de l'atelier "Éclairage scénique" de l'ARTUS
Création graphique : Julie Biscarat, Maïmiti Haoa
Photographie : Xing Wei

Ils étaient tous mes fils (All My Sons), Arthur Miller.
Paru en français le 2 février 2012 chez Robert Laffont.