Sous l'enrobage plastique, pavillon de banlieue américaine de 1947, une famille apparemment heureuse suit le cours de l'histoire. Sous le même emballage, conservée en l'état par le conditionnement réfrigéré de l'opinion publique, une famille éclopée subit toujours les retombées de la guerre. Deux familles qu'Arthur Miller peint à petites touches tranchantes, qui se croisent, se complètent, s'entrelacent et se déchirent. Joe Keller, impliqué par le passé dans une grave vente de matériel défectueux à l'armée, est libre. C'est son ancien associé, Jack, qui a endossé les charges. Cet homme, en prison, a deux enfants : Anne et Georges. Joe aussi en avait deux , il n'en a plus qu'un. Chris, son fils —encore poursuivi par les spectres des batailles— est amoureux d'Anne, fille de Jack et ancienne fiancée de son frère disparu à la guerre, Tom. Le mariage se profile, mais la mère de Chris, Kate, s'y oppose, refusant de signer par là même l'acte de décès de son fils qu'elle ne considère qu'encore disparu. Un jour, le jour de la pièce, le frère d'Anne pousse la porte du jardin des Keller. Autour d'eux, le ballet des voisins, tantôt bienveillants, tantôt mesquins, toujours impuissants à ébranler une machinerie cassée depuis plus de quatre ans.
C'est un passé de pelotes de laine emmêlées et de
lettres jamais lues qui fermente sous le film plastique. L'étiquette
proprette cache une viande qui a pourri et il faut bien que quelqu'un
l'avale. Il est remarquable d'observer les changements qui s'opèrent
sur notre propre organisme au fur et à mesure que la pièce avance.
La détente des muscles d'abord, due à de légers rires, une
ambiance conviviale et paisible. Puis, quelques raideurs au cou, un
inexplicable sentiment de malaise qui sourd d'une remarque, d'un
regard. L'ombre de la guerre et de ses enfants tourne autour de la
maison et ricoche sur les haies de thuyas.
Les acteurs portent chacun le fardeau de leur personnage, aussi
bien psychiquement que physiquement. Le tout dans une scénographie
qui les conditionne parfaitement, univers synthétique et symétrique,
jardin à la corde et décor factice. Le pendant des mensonges bien
calibrés dont se parent les figures qui l'habitent. Dynamique et
appuyée par quelques passages musicaux, la pièce se voit sans
ennui. Les 105 minutes passées dans l'obscurité filent à toute
vitesse, aspirées par trois actes s'étirant d'un matin à une nuit.
Quelques menus traits seront soulignés par le spectateur
pointilleux, plus comme des callosités à poncer que comme vices de
forme. Des images un peu bancales (l'arbre qu'il faut deviner à
partir de ses rameaux posés à jardin par exemple), certains moments
d'émotions où le jeu vacille, et qui perdent de leur naturel et de
leur conviction. Mais pour une pièce aussi subtile, à la
composition psychologique et à la mécanique interne aussi fine, il
est compréhensible d'observer ces légers accrocs. Leur nombre
réduit fait par ailleurs preuve d'une bonne maîtrise de la part de
ses acteurs. La mise en scène, quant à elle, sait se montrer
discrète tout en manœuvrant les pantins sur des châssis bien
huilés. Ainsi poursuit-elle, jusque dans la composition des saluts finaux,
apportant par un léger détail —et alors que la pièce est bien
finie— une vision d'avenir.
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Théâtre du Cube Noir (CREPS d'Alsace)
4 allée du Sommerhof, 67200 Strasbourg
PROCHAINES REPRÉSENTATIONS :
Jeudi 9 mai 2015 à 20h 30
Dimanche 10 mai 2015 à 17h
RÉSERVATIONS :
06 85 63 42 07 / resa@artusasso.fr
Précisez : vos noms et prénoms, un numéro de téléphone, le nombre de places et la date
Distribution : José Baert, Julie Biscarat, Christian Furlani, Salomé Haquin, Noah Kaision, Marie-Blanche Monteleone, Alexis Mosimann, Marina Ramahefarivo, Kévin Rousseau et Joseph Visseaux
Mise en scène : Danielle Decelle
Scénographie : Léa Genovese, Maïmiti Haoa
Création lumière : Thomas Fisseau
Maquillage : Laure Giroult et les élèves de l'Ecole Candice Mack
Régie lumière : Les stagiaires de l'atelier "Éclairage scénique" de l'ARTUS
Création graphique : Julie Biscarat, Maïmiti Haoa
Photographie : Xing Wei
Ils étaient tous mes fils (All My Sons), Arthur Miller.
Paru en français le 2 février 2012 chez Robert Laffont.
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